Oublier sa peur des araignées sans s’en rendre compte

Des chercheurs pensent avoir mis au point une nouvelle thérapie d’exposition pour traiter les phobies… de façon inconsciente.

Phobie des araignées, des clowns, du vide, des endroits confinés, de l’avion… Toutes ces peurs irrationnelles sont le plus souvent traitées par des techniques dites d’exposition : en confrontant régulièrement le patient au stimulus de sa peur mais en y associant une récompense ou en le plaçant dans des conditions agréables, on parvient parfois à lui faire oublier sa peur ou, au moins, à l’atténuer. Mais pour certaines personnes souffrant de phobie grave ou de stress post-traumatique, cette exposition, même contrôlée, est impossible… du moins, de façon consciente. Car Ai Koizumi et ses collègues du Laboratoire de neurosciences computatiolles à Kyoto au Japon et de l’université Columbia à New York, ont testé une nouvelle approche :  ils confrontent les patients avec leur stimulus phobique, à leur insu, et leur délivrent à ce moment une récompense, là encore inconsciente. Et leur peur s’évanouit !

Pour parvenir à ce résultat, les chercheurs ont d’abord « conditionné » 17 volontaires à développer une peur d’un stimulus douloureux : ils leur ont montré des lignes colorées (rouges ou vertes) en les associant à des chocs électriques sans danger mais désagréables. Les sujets étaient alors conscients de la procédure. Quand on leur montrait ensuite les lignes de couleur, ils manifestaient de la peur – mesurée par l’augmentation de la conductance de leur peau, caractéristique d’une sudation. Puis Koizumi et ses collègues ont « renforcé » ce conditionnement en répétant l’exposition pendant trois jours, mais de façon inconsciente : les lignes étaient cette fois grises et les sujets devaient penser à autre chose (en l’occurrence, ils devaient utiliser des stratégies mentales pour augmenter la taille d’un disque).

Dans le même temps, pendant le conditionnement et pendant le renforcement, le cortex visuel primaire des participants était observé par imagerie cérébrale. Les images révèlent que l’exposition inconsciente au stimulus entraîne la même activité neuronale que l’exposition consciente. En d’autres termes, même inconscient, le renforcement réactivait et consolidait la même « trace » neuronale que le conditionnement initial. Et les sujets manifestaient les mêmes réactions de peur dans les deux situations.

Enfin, Koizumi et ses collègues ont « déconditionné », sans leur dire, certains des volontaires, c’est-à-dire « éteint » leur peur, également par renforcement neuronal. Pour ce faire, ils ont associé une récompense plus ou moins importante (une somme d’argent) au disque que les sujets tentaient de faire grossir et rétrécir, et ce, quand l’activité cérébrale associée au stimulus inconscient (les barres grises) se manifestait dans leur cerveau.

Résultat : lorsqu’elles étaient exposées consciemment aux lignes rouges ou vertes par la suite, les personnes ayant reçu des récompenses n’avaient plus peur, contrairement à celles qui n’en avaient pas eues. L’expérience a aussi révélé que le conditionnement s’accompagne d’une augmentation de l’activité de l’amygdale, un centre cérébral impliqué dans les émotions, et notamment la peur. C’est concordant avec ce que l’on observe dans le cerveau de patients atteints de phobies ou de stress post-traumatique. En revanche, le renforcement inconscient correspond à une diminution de l’activité du cortex préfrontal ventromédian, alors que dans les thérapies d’exposition consciente, cette région est davantage activée quand les sujets « oublient » leur peur. Cette méthode met donc probablement en œuvre d’autres circuits cérébraux qu’il reste à identifier.

Toujours est-il que cette thérapie d’exposition « inconsciente » semble efficace. Koizumi et ses collègues pensent qu’elle pourrait venir en aide aux patients qui ne supportent vraiment pas la vue des araignées – ou d’autres objets –, même en photo. À condition qu’en clinique, on dispose du matériel d’imagerie nécessaire à l’identification des motifs d’activité neuronale associés au stimulus de peur, afin de pouvoir présenter la récompense quand ils s’activent.

De Bénédicte Salthun-Lassalle – Cerveau & Psycho – 12 décembre 2016