Pervers narcissique :

Comment échapper au roi des connards ?

Il est l’un des pires énergumènes sur lequel on puisse tomber, l’un des plus dramatiquement irrésistibles aussi. Car le pervers narcissique est un prédateur à sang froid, passé maître dans l’art de la séduction et de la manipulation. Comment le repérer ? Comment fonctionne-t-il et comment échapper à son emprise dévastatrice ? A l’occasion de la sortie de l’excellent « Mon Roi » de Maïwenn, le psychanalyste Jean-Charles Bouchoux, auteur du livre « Les pervers narcissiques », nous livre les clés pour mieux comprendre (et éviter) ces redoutables tombeurs.


Elle ressemble à un petit animal fragile, perdu, inquiet. Lui, grand félin élégant, a le verbe haut, la démarche gracieuse, le sourire vorace et le regard qui frise. Il la dévore des yeux, la happe. Le piège se referme. Et soudain, le regard bleu s’assombrit et vrille. Il l’écrase, l’humilie, s’échappe. Elle tente de le rattraper, mais il esquive de plus belle avant de revenir à genoux.

« Si ta vie fait des hauts et des bas, ça veut dire que tu es vivante. Quand tout est plat, c’est que tu es morte », tente-t-il de justifier.
Mais comment tenir debout lorsqu’on chevauche des montagnes russes émotionnelles ?

Ce tango toxique mené par le pervers narcissique, beaucoup de femmes l’ont dansé. Disséqué avec finesse par Maïwenn dans son nouveau film Mon Roi, il est d’autant plus éprouvant qu’il est magistralement interprété par Vincent Cassel en prédateur d’une séduction folle et Emmanuelle Bercot dans le rôle de la proie brisée (qui lui a valu un prix d’interprétation au Festival de Cannes 2015). Et que l’histoire est universelle.

Comme l’héroïne de Mon Roi, ce despote affectif nous a eue d’une œillade, d’un sourire. Dans son regard, nous nous étions vue désirable. Et si c’était enfin le bon ? Enivrée par ses mots d’amour, intoxiquée par ses baisers, nous l’avons laissé s’immiscer sous notre peau frémissante et tout a commencé à pourrir. Les piques se multiplient, les étreintes se défont, les mots doux se font âcres. On se déchire, on s’oublie, on se nie. Et cette boule qui nous broie le palpitant du matin jusqu’au soir. Jusqu’à la fuite, presque salutaire, pour que ce lent cauchemar s’arrête enfin. Mais, alors que nous tentons de nous relever et de nous reconstruire, il revient à la charge pour se repaître de notre cœur en lambeaux. Le schéma du pervers narcissique est immuable, son emprise sur ses victimes totale.

Pour mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre dans cette relation en perpétuelle déconstruction, nous avons interrogé Jean-Charles Bouchoux, psychanalyste, psychothérapeute, auteur du livre Les pervers narcissiques. Il nous explique qui sont ces (faux) amoureux, leur mode de fonctionnement et comment les combattre.


Y a-t-il un profil type du pervers narcissique ?

Jean-Charles Bouchoux : Je préfère parler de mécanismes de défense. Ces mécanismes sont employés par des personnes qui sont à la limite de la folie, de la psychose, et qui les utilisent pour ne pas devenir fous. Ce qui est surprenant, c’est de retrouver des mécanismes absolument identiques d’une personne à l’autre. C’est souvent les victimes qui viennent me voir en me racontant des scènes qui sont toutes exactement identiques d’une personne à l’autre.

Quels sont ces fameux mécanismes de défense ?

Tout ce qui est du côté de l’identification projective. La personne qui emploie des mécanismes de pervers narcissique ne peut pas envisager la moindre tache sur son vernis. Elle est une personne absolument parfaite. Dès qu’un problème se pose au sein du couple, au sein de l’entreprise ou au sein de la famille, c’est toujours de la faute d’une personne qui est désignée comme le bouc-émissaire.

Les femmes sont-elles aussi enclines à la perversion narcissique que les hommes ?

Oui, je dirais 50%.

Dans le film Mon roi, le pervers narcissique joué par Vincent Cassel est dépeint comme quelqu’un de très séduisant, très sociable. Cela correspond-t-il au « profil » ?

Oui, tout à fait. Ce sont des personnes qui ont besoin de briller, qui ont besoin d’être reconnues et qui arrivent souvent à être reconnues d’ailleurs. Et donc à chaque fois qu’elles auraient un « défaut », quelque chose qu’elles souhaiteraient cacher, elles l’attribuent à un autre. C’est de l’identification projective. Par exemple, dans un couple, si jamais une personne qui emploie des mécanismes de pervers narcissique voit quelqu’un qui pourrait lui plaire, elle va se retrouver à être immédiatement jalouse de sa compagne/son compagnon. Le pervers narcissique ne supporte pas l’idée que cette personne puisse lui être infidèle.

Comment se présente le « schéma » classique du pervers narcissique ?

Au fondement des relations perverses, il y a l’angoisse d’abandon à la fois chez la personne qui emploie des mécanismes pervers, mais aussi chez sa victime. Il y a d’abord une phase de séduction qui passe par les mots, où on promet tout et n’importe quoi, et après, très délicatement, très doucement, on glisse vers quelque chose de pervers : c’est l’autre qui est menacé d’être abandonné. Là encore, il y a ce mécanisme de projection : j’ai peur d’être abandonné -> je te menace de t’abandonner. A ce moment-là, par réflexe, la victime s’accroche. Et cela va très très bien à la personnalité perverse. La perversion narcissique consiste à embobiner quelqu’un pour l’empêcher de partir tout en lui disant : « Attention, je vais te mettre dehors ». C’est pour lui faire vivre l’angoisse que lui-même ressent.

Dans Mon Roi, le pervers narcissique dit « Je t’aime » dès la première nuit et veut ardemment un enfant. Est-ce symptomatique ?

Oui. Dire « je t’aime » trop vite, c’est ne pas appartenir à la réalité : on projette un fantasme dans l’autre. On l’a tous plus ou moins fait : on vit une rupture difficile, on tourne la page, on rencontre quelqu’un et sur ce quelqu’un, vous projetez l’amour de celui que vous avez perdu. En réalité, vous n’êtes pas vraiment amoureux. Cela vous fait juste du bien de dire « Je t’aime ». Cela arrive à tout le monde, ce n’est pas extrêmement pervers.

Quant au désir d’enfant, une personnalité qui entretient des mécanismes de pervers narcissique est quelqu’un qui est dans l’angoisse de l’abandon. Elle va donc tout faire pour mettre en place des liens difficiles voire impossibles à rompre. Cela peut donc être un enfant, de l’argent qu’il va vous emprunter et ne vous rendra pas… Pas parce qu’il veut vous voler mais parce qu’il veut garder le lien. Tant qu’il y a cette dette, tant qu’il y a cet enfant, on est obligé de communiquer. Et si vous partez, il y a la rupture et en plus, la perte de l’argent et éventuellement la perte de l’enfant. D’ailleurs, il y a des hommes qui finissent par ne plus voir leurs propres enfants.

Quelle est la différence entre un pervers narcissique et un phobique de l’engagement ?

On peut être phobique de l’engagement sans tenter de détruire l’autre ! Le phobique de l’engagement peut partir à la première occasion, c’est une forme d’hystérie, mais on n’est pas dans le champ de la perversion.

Est-ce le pervers narcissique qui prend la décision de quitter l’autre ?

La rupture vient rarement du pervers narcissique, même si cela arrive. C’est le cas quand il se sent démasqué, quand l’autre lui dit :  » Ça va, j’ai compris ton fonctionnement, je vais commencer à le faire savoir… « . La victime ne reste intéressante tant qu’elle ne met pas en danger son pervers. Mais à partir du moment où elle a compris ce qu’il se passait, l’autre va se trouver une nouvelle victime plus confortable et partir. Pour rejouer la même chose, bien sûr. Au final, le pervers narcissique est un quelqu’un qui planque une dépression et qu’il ne veut pas voir en face. Car pour guérir d’une dépression, il faut déjà commencer à l’accepter. Et comme il ne l’accepte pas, il a tendance à projeter sa dépression dans l’autre et à le rendre à son tour dépressif.

Le pervers revient-il systématiquement à la charge après la rupture ?

Il revient très souvent, oui. Un des symptômes, c’est le besoin de vérifier sa toute-puissance. Et il le fait en revenant et on va lui ouvrir les bras. Combien de personnes m’ont dit :  » Nous avions arrêté, pour moi, c’était définitivement terminé. Et puis il est revenu, il était absolument charmant, il a réussi à me convaincre en me disant : ‘J’ai compris mon erreur et je te présente même des excuses…' ». Et très rapidement, la situation redevient la même…

Dans Mon Roi, la victime jouée par Emmanuelle Bercot est une fille « normale », presque banale.

Elle doit avoir de grandes qualités. Une chose étonnante, c’est que le pervers critique tout le temps sa victime, mais en réalité, quelque part, il l’admire. Et ça, il ne le supporte pas. Il a le sentiment que l’autre est supérieur à lui. A la fois, il en joue dans le sens où il va s’enorgueillir de ça (« Regardez, je suis quelqu’un de tellement bien que je plais à cette personne qui est tellement bien »), et en même temps, il fait tout dévaloriser l’autre. C’est son moyen à lui d’éviter que l’autre prenne trop la confiance et le quitte. Inconsciemment, le pervers narcissique a le sentiment qu’il ne vaut rien. S’il est avec quelqu’un de bien et que cette personne s’en aperçoit, forcément, elle va partir.

Il y a donc une forme de jalousie…

Oui, une jalousie constante.

Abandonnique, brillante… Quels sont les autres « critères de sélection » de la victime idéale du pervers narcissique ?

C’est toujours quelqu’un qui a une faille narcissique, qui doute fortement de ses qualités. Elle peut être structurelle, car on a été éduqué par des parents ou dans un milieu qui ne nous ont pas valorisé, ou conjoncturelle. Quand vous trouvez un nouvel emploi, même si vous êtes avez les compétences, vous doutez : il va falloir que je plaise, que j’y arrive, que je brille… Quelqu’un qui voudrait vous effondrer à ce moment-là va profiter de votre doute pour vous enfoncer.

Prend-il du plaisir à détruire l’autre ?

Le profil-type n’existe pas : il y a des personnes qui emploient des mécanismes de pervers narcissique lorsqu’elles vont très mal, mais qui, en temps normal, ne sont pas des pourris. Il y a une forme de personnalité où les personnes se sont installées dans cette relation extrêmement confortable pour elles. Et là, si au début, ce sont des mécanismes de défense, très rapidement, il peut y avoir une jouissance à détruire l’autre. A ce moment-là, on peut parler de sadique narcissique.

Vous décrivez le pervers comme un « vomisseur ».

C’est le phénomène de projection : c’est toujours à cause de toi que ça va mal. Comme lors d’un gastro, on vomit son poison, son virus, le pervers narcissique vomit le moindre conflit interne. Il ne supporte pas. Par exemple : une dame rentre dans la voiture de son mari, il fait une marche arrière et emboutit la voiture de sa femme. Il se retourne immédiatement vers elle en lui disant : « Mais enfin, tu ne te gares jamais là d’habitude ! ». Il ne peut pas envisager la moindre culpabilité, ça le rendrait malade.

L’éducation joue-t-elle dans la construction d’un pervers narcissique ?

Oui, un enfant-roi peut donner quelqu’un de pervers, car c’est quelqu’un qui ne supporte pas la frustration.

Comment identifier le pervers narcissique, quels sont les signaux d’alerte ?

La perversion narcissique s’appuie sur une relation difficile à défaire : soit un enfant avec ses parents, soit un employé avec son chef de service ou son patron, soit un couple. On a donc toujours une relation filiale, de subordination ou une relation amoureuse. Dans le cadre du couple, la question à se poser, c’est : « Est-ce que je suis bien dans cette relation ? ». C’est la question que je pose aux personnes qui viennent consulter. Si vous êtes bien dans cette relation, qu’il soit pervers ou pas, peu importe.

Est-il possible d’échapper définitivement à l’emprise du pervers narcissique ?

Oui, en partant et s’il insiste, on appelle la police. Alors c’est plus compliqué quand il y a des enfants au milieu ou qu’il y a un salaire. Et c’est pratiquement impossible s’il s’agit des parents et que la victime est mineure. Car en plus, c’est pratiquement indémontrable.

Comment s’échapper lorsqu’on est en prise avec un pervers narcissique dans le cadre du travail ?

C’est beaucoup plus compliqué. Tout d’abord, il faut s’en apercevoir et comprendre pourquoi on se sent mal, pourquoi on se sent tout le temps coupable. En entreprise, il y a des mécanismes qui sont absolument abominables et d’une subtilité incroyable. Par exemple, on va vous donner une tâche, avec le sourire (car le pervers narcissique n’est pas forcément quelqu’un qui fait la gueule ou vous insulte- il en est d’autant plus dangereux).Il va dire : « J’ai confiance en vous, je vous confie cette mission ». Au départ, cela vous rend joyeux qu’on ait confiance en vous. Le problème, c’est que cette mission, vous ne pourrez pas la réaliser soit parce que vous n’en avez pas les compétences, soit parce qu’on ne vous en donne pas les moyens. Et très rapidement, on va vous dire : « Malgré toute la confiance que j’avais placée en vous, vous m’avez déçu ». C’est toujours très violent, mais pas forcément très agressif.

En quoi la rupture amoureuse est-elle particulièrement dévastatrice pour la victime ?

La leçon à recevoir, c’est que lui non plus n’est pas tout-puissant. C’est ce que Freud appelait la castration. A un moment donné, il faut l’accepter et s’en aller. Même si le fait de partir peut amener l’autre à une forme de décompensation. Peut-être qu’il va tomber malade parce qu’on est parti(e), mais ce n’est pas notre responsabilité : il était déjà malade avant nous. Ça, c’est dévastateur. Quant au pervers, est-ce que ce n’est pas ce qui peut lui arriver de mieux, de se retourner face à sa pathologie ? Finalement, cela pose la question de la compassion : l’amour ne consiste pas à dire à l’autre : ‘Continue à être ce que tu es, ça marche’. Quand on part, il faut lui dire que ça ne marche pas. Tant qu’on reste, on lui envoie le signal que ça marche très bien et qu’il peut continuer.

Comment aider un proche qui est embourbé dans ce type de relation ?

C’est extrêmement difficile sinon impossible. C’est une question qu’on me pose très souvent. C’est le choix de notre enfant, de notre amie, de notre parent d’être aux côtés d’un pervers narcissique. De quel droit les en empêcher ? La seule chose qui fâche, c’est que l’un des mécanismes que met en place le pervers est l’isolement de sa victime. Il va lui expliquer que ses amis ne valent rien, que ses parents ne valent rien ou pire, dans les cas les plus graves, il les séduit et les amis ou la famille de la victime se retournent contre elle et prennent parti pour le pervers…

Ce qu’on peut faire, c’est dire à son amie ou à son parent : « J’ai remarqué qu’on se voyait beaucoup moins maintenant, je respecte mais sache que ma porte t’est ouverte ». Le plus beau cadeau qu’on puisse lui faire, c’est d’aller bien soi-même, prendre soin de soi et prendre soin des autres. Si la victime voit qu’elle vit un truc abominable et que vous êtes épanouie et qu’en plus, vous lui dites que vous êtes là pour elle, elle finira peut-être par revenir à vos côtés. Et vous serez là pour l’accueillir. Mais lui dire : « Tu es avec un pervers », ça ne marche pas. Cela renvoie à nos relations d’adolescent lorsque nos parents nous interdisaient de fréquenter untel ou untel. Cela nous en rapprochait même plus.

Le pervers narcissique peut-il aimer un jour ?

Malheureusement pour lui, il a une structure psychique qui l’en empêche. Je ne crois pas donc qu’il soit capable d’aimer. Il faudrait qu’il arrive à évoluer. Et la seule façon dont il pourrait évoluer, ce serait d’être quitté, de se retrouver face à sa dépression (car oui, c’est bien une dépression qu’il planque), et à ce moment-là, envisager de se soigner. Mais je ne connais pas de cas.

Le pervers narcissique a-t-il conscience d’être un pervers narcissique ?

Il ne peut pas en avoir conscience. Cela serait insupportable pour lui. Il ne supporte pas l’idée de la culpabilité. Donc il ne PEUT pas être coupable. Celui qui va mal, c’est toujours l’autre. Et l’autre, dans ce cas, devient son médicament. Car c’est parce qu’il fait porter à l’autre ses propres travers que lui va bien.

Au final, le pervers narcissique est-il lui aussi une « victime » ?

Oui, il est victime de ses schémas. Mais contrairement à la victime, il ne cherche pas à en sortir. Finalement, c’est confortable pour lui.

http://www.terrafemina.com/article/pervers-narcissique-comment-echapper-au-roi-des-connards_a290913/1

Par Catherine ROCHON – 21 octobre 2015 – Terrafemina